Créer des personnages réalistes, Partie 1
Le risque de l’uncanny valley
Beaucoup de studios d’animation le diront : modéliser des humains réalistes est compliqué. C’est un talent dont peu d’artistes peuvent se targuer, et un cas qui a toujours été épineux pour les créateurs.
Epineux parce que malgré tout le talent qu’on peut déployer, il y a toujours le risque d’aboutir à un résultat bizarre.
Modéliser des humains réalistes est un travail d’orfèvre
Aujourd’hui le photoréalisme n’est pas un problème. On sait en faire.
On sait notamment l’obtenir sur des objets – packs produits, véhicules, textiles, mobiliers, pièces industrielles, etc. Car on a les outils et la pratique pour restituer fidèlement les matières et leur comportement face à la lumière (c’est presque là que se tient l’essentiel d’une belle image 3D, dans la matière et la lumière).
On sait restituer le rendu d’un matériau, son épaisseur, ses irrégularités, sa réflexion, et ainsi faire croire à du plastique, du cuir, du tissu, du métal.
Voir par exemple notre article sur la création de produits 3D
Les personnages en revanche, c’est autre chose.
C’est d’abord des détails infimes, mais essentiels pour faire vrai. Il faut pouvoir reproduire le grain particulier de la peau, les poils, les cils, la commissure des lèvres, les rides, les imperfections cutanées, la naissance des cheveux. Bref, un travail de sculpture méticuleux. Un travail d’orfèvre.
Mais ça ne suffit pas. Un humain, ce n’est pas un collage de matière. C’est une physionomie à laquelle on doit croire. On peut tout à fait réunir des éléments réalistes sur un visage et aboutir pourtant à un résultat qui ne fonctionne pas. Pas un visage laid, car la laideur c’est autre chose. Mais un visage qui semble faux, composite, disharmonieux.
On comprend alors qu’il n’est pas facile de créer un visage de toute pièce. De créer quelqu’un qui pourrait exister, dont les yeux reflètent une âme. À cet exercice, la nature reste la meilleure. Elle est un excellent designer, et il faut beaucoup de talent pour l’imiter.
Le risque en fait, c’est de tomber dans la vallée de l’étrange.
Le risque de l’uncanny valley
La vallée de l’étrange (ou vallée dérangeante) est un concept né en robotique, qu’on a vu s’étendre au domaine de l’animation 3D.
C’est une théorie qui nous dit que lorsqu’un objet/robot ressemble un peu à un humain, même très peu, il peut éveiller notre sympathie.
C’est le cas d’une peluche par exemple. Le léger anthropomorphisme d’un nounours ne gêne pas. Au contraire, en humanisant l’animal on nous le rend attachant.
Mais cela est vrai jusqu’à un certain niveau de ressemblance. Car plus le personnage semble humain, moins nous l’acceptons. À un certain niveau de réalisme, la moindre imperfection nous dérange et créé un malaise.
© crédit : image de timothy takemoto sur flickr
On parle de « vallée » car sur un graphique le phénomène ressemble à une vallée : notre sympathie chute face à un automate, puis remonte face à un véritable humain.
En robotique, cela se traduit par le trouble que l’on ressent devant des automates qui peuvent sembler vrais, mais dont les mouvements faux et les réactions étranges nous gênent terriblement. Des visages aux expressions absentes, aux regard vides peuvent d’ailleurs nous faire penser à des cadavres et nous rappeler la mort – c’est l’une des explications possibles du phénomène.
En animation 3D, c’est la même chose.
Plus un personnage est réaliste, plus nous serons attentifs à ses imperfections. C’est tout naturel. Dès le berceau, notre œil a appris à reconnaitre les visages humains, c’est une gymnastique que nous maîtrisons. Si bien que nous remarquons vite les anomalies. On accepte mal un look au réalisme incomplet.
Et il existe plusieurs manières d’être incomplet.
Quelques cas de réalismes qui ne fonctionnent pas
D’abord, par définition, en entamant une démarche réaliste sans pouvoir la mener loin. Par manque de temps, de talent, ou d’outils.
Un tel visage, si synthétique, ne gêne pas dans le jeu vidéo par exemple. La raison est simple : dans un jeu tout est image de synthèse, on tolère donc mieux la chose. Mais dans un film, au milieu de vraies personnes, voir débarquer cette….chose. Disons que cela fait son effet, mais sûrement pas celui escompté.
Il y a ensuite le cas du look hybride. Celui qui mélange réalisme et fantaisisme.
C’est certainement un choix conscient. La volonté des artistes était peut-être d’assumer l’étiquette « film d’animation » et d’envoyer un message aux spectateurs : nous ne voulons pas totalement basculer dans le réalisme, d’où ces yeux énormes.
Dans le même genre, on pourrait évoquer Alita, plus flagrant encore. Il décide de créer une gêne volontaire, qui trouve une raison d’être dans l’histoire – puisqu’Alita est un cyborg. C’est aussi une référence au manga original (Gunnm).
Enfin, abordons le cas de Sonic. Il est intéressant car il inverse la balance : au lieu d’inclure un élément fantaisiste sur un visage réaliste, il fait l’inverse.
Ici la gêne vient de plusieurs choses : d’abord les dents trop humaines, la bouche mal intégrée dans le museau, les yeux grands mais écartés avec la même logique qu’un visage humain, et enfin le corps qui ressemble à celui d’un petit homme.
Tout cela est dissonant. L’idée derrière ce design était probablement d’inscrire Sonic dans le réel, d’effacer ce qu’il avait de cartoonesque pour en faire un humanoïde auquel on aurait dû croire. Mais c’est raté.
Le photoréalisme, un autre travail pour l’animateur, avec moins de souplesse créative
Cela est vrai pour l’animation. Un personnage non-réaliste donne l’autorisation d’étirer les traits, de grossir les yeux, d’écraser le corps, pour donner plus d’expressivité. Alors qu’avec un personnage réaliste, cela est interdit. Qui dit physique réaliste, dit animations réalistes. Il faut que le mouvement soit rigoureusement crédible.
C’est aussi vrai pour le charadesign. En animation, on a le droit d’orienter le physique de son personnage vers une apparente bonhomie ou vers un look de méchant. Le droit de faire de la physiognomonie : moraliser les traits, créer une tête en fonction du caractère. Avec des personnages réalistes, la recherche graphique se voit forcément bridée. Les curseurs sont réduits selon une logique réaliste, pour que le personnage soit plausible.
Dans les exemples plus connus, on peut s’arrêter sur le personnage de Merida dans Rebelle. Sa création, en vidéo ici, nous montre que sa tête ronde, son visage ouvert, ses grands yeux, dessinent une héroine effrontée et taciturne (en un mot : rebelle). Le design fait le personnage.
Tout cela pour dire que si les studios ne se ruent pas vers le photoréalisme, ce n’est pas uniquement par peur de l’uncanny valley, mais aussi par amour profond pour l’animation traditionnelle, seule garante d’une liberté créatrice.
Bon, on vous a dit tout du long que le photoréalisme était difficile, mais on n’a pas dit qu’il était impossible. Certes, c’est un exercice périlleux lorsqu’il est fait à la main de A à Z, mais heureusement il existe aujourd’hui des outils qui mâchent un peu le travail.
Et pour nous qui sommes parfois sollicités pour des personnages réalistes, il existe depuis peu un outil entièrement pensé vers le photoréalisme. Allons le découvrir à la suite de cet article.